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Fake news : une proposition de loi liberticide

Fake news : une proposition de loi liberticide

Pour Aurélien Portuese, auteur du rapport « Rétablir la liberté d’expression » pour notre think-tank (à retrouver ICI), la proposition de loi qui se veut interdire les fake news est dangereuse. Loin de sanctionner les fausses nouvelles, elle sanctionnerait l’information n’ayant pas de possibilité d’être vérifiée.

Notre expert pointe une loi qui va attenter à la liberté des journalistes, réduire le débat public, judiciariser les propos démocratiques – y compris les plus corrosifs. Une loi liberticide qui risque de servir les intérêts de candidats politiques.

 

Voici son analyse :

Classée 33ème dans le monde par le classement 2018 établi par Reporters Sans Frontières pour la protection de la liberté d’expression des journalistes, la France va adopter une loi sur les « fake news » qui ne peut que préjudicier encore davantage sa place dans le monde pour la relative faiblesse de ses libertés publiques, et particulièrement de la protection de la liberté d’expression.

En effet, cette loi annoncée par Emmanuel Macron le 3 janvier 2018 est une volonté personnelle du Président de la République suite à la campagne présidentielle de 2017 lors de laquelle des « fausses nouvelles » se seraient propagées dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Par un amendement adopté le 30 mai 2018 pour la proposition de loi visant à lutter contre les « fake news », une fausse information est définie comme étant « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Dès lors, il s’ensuit que la loi ne sanctionne pas les fausses nouvelles, contrairement à l’intention première mais, plus grave encore, sanctionne l’information n’ayant pas de possibilité d’être vérifiée ! Ainsi, le juge à qui sera confiée la tâche impossible de lutter contre les fausses informations, devra vérifier la présence « d’éléments vérifiables ». Par là, le juge devient le rédacteur en chef suprême auquel tout journaliste devra se soumettre, sous peine d’être sanctionné pour fausse information alors même que l’information pourrait être vraie mais que le juge n’aura seulement pas réussi à rassembler ces dits « éléments vérifiables ».

Cette loi ne sanctionne pas les fausses nouvelles, contrairement à l’intention première mais, plus grave encore, sanctionne l’information n’ayant pas de possibilité d’être vérifiée !

Enfin, la définition introduit un élément de jugement de valeur renforçant encore davantage le pouvoir discrétionnaire du juge ainsi saisi, par cette notion de « vraisemblable » : l’information ne doit pas nécessairement être vraie pour échapper à la sanction, elle doit simplement être vraisemblable.  Est vraisemblable ce qui a les apparences du vrai, est plausible : le juge pourra ainsi ne pas sanctionner la fausse information ayant les apparences du vrai, étant plausible ; ou, au contraire, réprimer la diffuser de vraies informations non plausibles, invraisemblables, dépourvue de ces apparences du vrai alors même que l’information est vraie.

L’office du juge devient l’office de presse ; la rédaction de presse devient l’anti-chambre du Journal Officiel. Aucune information ne saurait ainsi être diffusée sans potentiellement être vérifiée par le juge. La justice française devra ainsi irrémédiablement contrôler les éléments vérifiables du journaliste. Si ces éléments vérifiables ne sont qu’entre les mains du journaliste ayant révélé l’information alors exclusive, la justice française devra alors exiger que ce journaliste dévoile ces sources journalistiques afin d’asseoir la réalité de ces éléments vérifiables. Cette intrusion caractérisée de la justice française dans la réalité des « éléments vérifiables » –  autrement dit, les sources des journalistes – est une atteinte disproportionnée et injustifiable à la liberté d’expression en général, et à la liberté d’expression des journalistes et leur devoir d’information en particulier.

Cette loi, aussi néfaste qu’inutile, pourrait être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel. En effet, la Décision du Conseil Constitutionnel n°2016-738 DC du 10 novembre 2016 a déclaré inconstitutionnelle l’article 4 de la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias qui était relatif à la protection des sources des journalistes et qui réécrivait l’article 2 de la loi du 18 juillet 1881. Le secret des sources journalistes ne peut être porté atteinte qu’à titre exceptionnel, au cours d’une procédure pénale, pour réprimer certains délits sanctionnant des violences aux personnes ou des actes de terrorisme ou touchant aux intérêts fondamentaux de la Nation. Avec la loi sur les « fake news », on porte une atteinte au secret des journalistes non plus à titre exceptionnel dans le cadre d’une procédure pénale, mais de façon plus générale, au cours d’une simple procédure civile où, par exemple, un candidat à une élection politique, pourra saisir le juge qui s’immiscera dans les sources des journalistes afin de contrôler judiciairement l’existence d’ « éléments vérifiables ». Cet affaiblissement de la protection juridique des sources des journalistes ainsi que l’accroissement disproportionné des pouvoirs du juge civil – juge désormais de la plausibilité des propos émis lors de campagnes politiques – est dangereux dans une société démocratique.

Cette instrumentalisation prévisible de la justice ainsi que la tache nouvelle du juge de devenir censeur de l’invraisemblabilité des propos tenus lors de campagnes politiques concourent à la fragilisation de la justice française de manière irrémédiable.

Ce danger démocratique est non seulement incité par la loi sur les « fake news » mais encouragé par ce qui serait un référé « fake news » : la loi prévoit que tout candidat pourrait saisir le juge de l’urgence afin que celui-ci statue sur l’existence ou non de « fake news ». Autrement dit, les campagnes politiques ainsi judiciarisée quant au contrôles des propos tenus, se verraient suspendues aux délais judiciaires. Il est inévitable qu’une instrumentalisation de la justice par les candidats politiques intervienne puisqu’un recours stratégiquement introduit pourrait être utilisé comme argument politique à la veille d’échéances électorales.

Cette instrumentalisation prévisible de la justice ainsi que la tache nouvelle du juge de devenir censeur de l’invraisemblabilité des propos tenus lors de campagnes politiques concourent à la fragilisation de la justice française de manière irrémédiable.

Cette loi participe à l’ « hygiénisation » des campagnes politiques si l’on doit trouver un quelconque intérêt à cette loi éminemment liberticide. En effet, les candidats étant déjà restreints par les moyens écrits, oraux, de communiquer lors des campagnes politiques, se verront encore davantage restreints  dans leurs libertés de parole (sur les réseaux sociaux) tout comme les journalistes se considéreront muselés car ayant la crainte de procès en référé.

Les campagnes politiques seront toujours plus lisses, moins mordantes, puisque le couperet judiciaire pourrait tomber à tous moments dans l’hypothèse où des informations improbables seraient communiquées. Cet appauvrissement du débat public – d’où le terme d’ « hygiénisation » – aura pour corollaire une plus grande agressivité des candidats politiques envers tout propos pourtant crédible, sourcé mais qui se verrait affublé du label de « fake news ».

L’exemple de Trump est l’illustration de ce qui pourrait arriver en France dans les années à venir avec une telle loi : toute allégation faite par un grand média pourtant crédible (ex : CNN…) serait taxée de « fake news » pour moins avoir à y répondre. Dans le cadre d’une judiciarisation du terme « fake news » comme prévu par cette loi, les candidats ne s’embêteront plus à répondre aux questions des journalistes, il leur suffira de les attaquer par le commode référé prévu par la loi.

 

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