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Polarisation : la faute à la Ve République

Polarisation : la faute à la Ve République

Notre expert Raul Magni-Berton, dans Le Monde, et notre directeur Christophe Seltzer, dans Atlantico, voient dans la polarisation de la société française et l’hyperprésidentialisme du voyage du Président à Marseille deux symptômes du déséquilibre des institutions.

 

D’après le baromètre imaginé en 2019 par des chercheurs de l’université Charles-III de Madrid, la France figure en première place des pays européens les plus polarisés. Fondé sur l’analyse des pages et des profils Facebook de 234 partis européens, cet indicateur utilise un indice de polarisation politique créé en 2008 par l’universitaire américain Russell J. Dalton. Sur une échelle de 0 à 10, alors que l’Irlande, l’Italie, le Portugal, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark, la Finlande, la Suède ou les Pays-Bas ont un score inférieur à 5, la France obtient le score le plus élevé avec 5,83. Ce concept de polarisation mesure à la fois la concentration des opinions au sein d’un groupe, et en même temps l’écart des opinions d’un groupe avec ceux d’autres groupes. En clair, il mesure à quel point les membres d’un groupe sont d’accord entre eux et en désaccord avec les autres groupes.

Comme le rappelle l’auteur de l’article, la polarisation n’est pas forcément une mauvaise chose : la démocratie repose précisément sur la libre expression de la multiplicité des opinions et des points-de-vue. En ce sens, une société démocratique est par essence polarisée. Pourtant, au-delà d’un certain degré, cette polarisation est le signe de la difficulté à trouver des consensus satisfaisants pour l’ensemble des citoyens, et du peu de personne qu’ils contentent.

Les chercheurs parlent également de « polarisation affective » lorsque les tensions infusent l’ensemble de la société et jusqu’à créer des divisions entre les citoyens. Ce type de polarisation porte alors davantage sur les enjeux culturels clivants comme le genre ou la race que sur des débats techniques concernant les politiques économiques par exemple, dont les enjeux sont moins facilement perceptibles : « le différend politique fait alors place à l’antipathie, au ressentiment, voire à la haine ». La polarisation affective représente dès lors souvent « un danger pour la démocratie » en donnant lieu à des débats davantage émotionnels que rationnels.

« Cette primauté de l’exécutif peut donner le sentiment que le pays est gouverné. Mais l’ambition d’une démocratie libérale, ce n’est pas de faire aboutir coûte que coûte les projets de la majorité : c’est de conférer de la légitimité à ses décisions. » – Raul Magni-Berton

 

Si la polarisation de la société américaine ne fait pas de doute, tant la modération s’est raréfiée au sein du camp démocrate comme républicain, la situation en l’Europe semble moins claire. En France notamment, la séquence des retraites interroge et les avis d’experts divergent pour savoir si oui ou non elle a révélé une polarisation particulière au pays. Pour notre expert Raul Magni-Berton par exemple, « les stratégies partisanes fondées sur la distinction “amis-ennemis” s’intensifient » au sein de l’hexagone, là où pour Tristan Guerra et Olivier Rozenberg, le PS et les LR témoignent de la persistance d’une volonté de compromis encore bien présente sur l’échiquier politique français.

« En instituant un exécutif puissant et en renforçant, par le biais du mode de scrutin, le parti dominant, les institutions de la Ve République ajoutent de la polarisation à un monde politique déjà polarisé. » – Raul Magni-Berton

 

Au-delà de ces divergences d’analyse, tous s’accordent en revanche sur les transformations du paysage politique français qu’a induit la Ve République (1958). Si jusqu’aux années 1990 la bipolarisation entre gauche et droite est très marquée et dépasse même le champ strictement politique pour devenir structurant pour l’ensemble de la société, l’heure est désormais à la « tripolarisation ». « Trois partis peuvent actuellement accéder au second tour de la présidentielle ou des législatives, mais aucun n’obtient la majorité absolue, tous rechignent aux alliances et l’un d’entre eux, le Rassemblement national, est exclu du jeu politique », souligne Raul.

Pour lui, la responsabilité vient également de la forme des institutions de la Ve République qui reposent sur un exécutif fort et qui ainsi « ajoutent de la polarisation à un monde politique déjà polarisé. Au lieu de bâtir du consensus, ce système majoritaire nourrit les tensions et les affrontements. Ces dissensions n’empêchent certes pas le gouvernement de gouverner, comme l’a montré l’épisode des retraites, mais elles fragilisent la cohésion sociale et engendrent une grande défiance envers le parti au pouvoir et les institutions. »

« Les sociétés européennes sont de plus en plus pluralistes et les paysages politiques de plus en plus fragmentés mais, au lieu de renforcer l’exécutif et de fabriquer au forceps des majorités artificielles, il vaudrait mieux que la France apprenne à “faire avec” la polarisation – c’est-à-dire qu’elle adopte un mode de gouvernement qui apaise les tensions, qui suscite l’adhésion et qui encourage le compromis. » – Raul Magni-Berton

 

Cela se traduit notamment pour l’auteur par un taux record de défiance vis-à-vis des formations politiques : 45% des Français déclarent n’avoir confiance en aucune formation, là où ce chiffre tourne autour des 20% au Danemark, en Suisse, en Finlande, en Islande, aux Pays-Bas, en Autriche et en Allemagne et tombe à 10% en Norvège et Suède.

Selon Raul, face à une polarisation croissante, au lieu de renforcer un exécutif qui ne fait que maquiller l’absence de consensus clair et ne satisfait qu’une minorité, les sociétés européennes devraient davantage apprendre à faire avec cette polarisation en changeant le mode de scrutin pour un scrutin proportionnel par exemple, tel que mis en place en Allemagne ou dans les pays scandinaves notamment.


Pour lire l’article du Monde avec Raul, cliquer ICI.

Pour lire l’article de Christophe dans Atlantico, cliquer ICI.

Pour lire notre recueil « Déprésidentialiser la Ve République », cliquer ICI.

Pour lire notre rapport « Décentraliser par la subsidiarité ascendante », cliquer ICI.

 

Publié le 26/06/2023.

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