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[Lu ailleurs] Les Français face à l’homme providentiel

[Lu ailleurs] Les Français face à l’homme providentiel

Interrogé par Madeleine Rouot, l’historien Michel Winock livre ses impressions sur le panorama politique en France à l’issue des élections législatives. Outre la marque d’un paradoxe très français, la défaite de la majorité symbolise le retour en grâce des parlementaires dans la conduite du pays. 

 

Michel Winock tire plusieurs enseignements du scrutin législatif. Tout d’abord, le fort taux d’abstention sonne comme une ritournelle désolante qui confirme la crise de la démocratie française. À ce phénomène déjà présent qui s’installe durablement s’ajoutent deux faits pour le moins inédit : l’échec de la coalition gouvernementale et la montée en puissance de ce qu’il nomme la « droite populiste » symbolisée par le Rassemblement national. En outre, si la gauche réalise une percée par rapport à 2017, le pari de Mélenchon est un échec puisque en terme de sièges obtenus le groupe parlementaire de la France Insoumise n’est pas le groupe majoritaire de l’opposition. L’heure du front républicain semble révolue compte tenu du nombre de candidats de la NUPES battus par des candidats du RN.

Le camouflet envoyé à Emmanuel Macron et à sa majorité présidentielle est aux yeux de l’historien un comportement bien français. Pour Michel Winock, les Français sont des « monarchistes régicides » qui, dans un étrange paradoxe, adulent l’homme providentiel avant de le chasser du pouvoir. Création de l’État, la nation française unie par le joug de l’autorité centralisatrice est un agrégat d’individus aux moeurs, aux cultures et aux intérêts divergents. L’État par le biais de son incarnation physique en la personne du chef de la nation devient l’objet de toutes les demandes. Celles-ci, ne pouvant être toutes traitées, génèrent de la défiance et une hostilité.

« L’Etat est tellement important en France que les Français lui demandent tout (l’emploi, le logement, la santé et le beau temps) ; ils ne peuvent être que déçus. Divisés entre eux, ils attendent l’homme providentiel et, une fois celui-ci arrivé, ils le rejettent. »

Pour Michel Winock, trois critères sont déterminants pour comprendre l’hostilité à la réforme des retraites. En plus d’un manque de culture économique et de connaissances démographiques, la persistance dans l’imaginaire d’une mentalité syndicale faite de luttes et d’acquis contrevient aux volontés du « Prince » d’engager des réformes structurelles qui remettraient en cause des droits acquis collectivement. L’autre versant paradoxal d’une nation « individualiste » dans laquelle les individus sont très peu syndiqués et où les partis politiques ont le plus grand mal à recruter.

Pour autant, il ne pense pas que la France soit devenue ingouvernable. L’antagonisme des oppositions rendra difficile le vote unanime d’une motion de censure en cas d’usage du 49.3 par le gouvernement. Plutôt que de se lamenter sur la situation, il voit le pouvoir des parlementaires s’accroître avec l’enterrement du jupitérisme macronien.

« Le rôle des députés est promis à prendre de l’importance ce qui était impossible avec un président « jupitérien » et une majorité absolue qui réduisait l’Assemblée à une chambre d’enregistrement. »

Enfin, l’abstention révèle un fossé générationnel qui se creuse irrémédiablement. Majoritaire chez les 18-35 ans, le fait abstentionniste témoigne d’un désenchantement de la jeunesse à l’égard de la politique traditionnelle. Le constat d’une médiocrité de la classe politique actuelle, le sentiment d’avoir vécu en dehors d’évènements historiques majeurs et la fin des grandes idéologies – et avec elles les perspectives d’un horizon meilleur – détournent les jeunes des urnes. Si certains s’engagent, ce n’est plus dans les partis politiques mais dans les associations. De même, les journaux papiers sont supplantés par les réseaux sociaux. Cette défiance ou indifférence à l’égard de la chose publique s’explique également par un manque de culture politique qui pousse l’historien à s’interroger sur les failles de notre système éducatif.


Pour lire l’article original, cliquer ICI.

 

Publié le 23/06/2022.

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