
Dans son dernier livre Pour un libéralisme humaniste, notre soutien Alexis Karklins-Marchay présente une vision repensée du libéralisme, à la fois « humaniste et éthique » : l’ordolibéralisme. Revenu universel, prix carbone : il y évoque certaines de nos propositions.
Dans son introduction, Alexis fait le constat d’une crise actuelle du libéralisme : alors qu’il a été largement adopté depuis plus de deux siècles par les pays occidentaux d’abord, puis plus récemment par d’autres pays sur tous les continents, et que « jamais dans l’histoire de l’humanité l’accroissement des libertés politiques individuelles et la progression du pouvoir d’achat et de l’espérance de vie n’ont été aussi forts que ceux observés depuis la fin du XVIIIe siècle dans les nations ayant évolué vers le libéralisme », il fait l’objet de nombreuses critiques.
Qualifié de « néolibéralisme » par ses détracteurs, il fait l’objet d’accusations de la part de trois oppositions principales : l’altermondialisme et l’écologisme inspirés du marxisme qui souhaitent sortir du système libéral, les socialistes qui sont en accord avec les principes de propriété et d’accumulation de richesses du libéralisme mais qui souhaitent beaucoup plus d’État et de redistribution, et les souverainistes de Zemmour à Trump, protectionnistes d’inspiration mercantilistes qui voient dans le marché une dépossession de la souveraineté nationale.
« Après l’économie de marché, c’est une sorte « d’économie sociale, culturelle et écologique de marché » qu’il faut aujourd’hui concevoir. »
Face aux reproches faits au libéralisme (favorisation de l’individualisme, logique purement financière, consumérisme, favorisation du gigantisme, favorisation des inégalités, rapports hypocrites à l’État et responsabilité dans le réchauffement climatique), l’auteur propose non pas de sortir du libéralisme, mais de le « réinventer ». « Et si la solution n’était pas de “sortir” du libéralisme mais plutôt d’“évoluer” vers un autre libéralisme ? Un libéralisme qui reprendrait les fondamentaux dont les avantages ne sont plus à démontrer, tout en répondant aux reproches qui lui sont adressés. » Pour Alexis, ce libéralisme existe et se nomme « ordolibéralisme ».
« L’ordolibéralisme est tout simplement une philosophie à part entière, qui dépasse l’économie et qui repense la place de l’humain dans la société. »
Né dans l’Allemagne libérale des années 1920 face à la montée du national-socialisme, ce courant a été à l’origine du « miracle économique » qu’a connu le pays à partir de 1948. Pour le libéralisme du « laissez-faire » d’Hayek, l’ordre social est spontané, issu des millions d’activités économiques qui composent la société, mais n’est prévu par aucun d’entre eux. Chaque individu maîtrise sa vie au sein de la société, mais personne ne maîtrise le processus d’évolution de la société elle-même. Pour les ordolibéraux en revanche, le marché n’est pas un « phénomène naturel » mais résulte d’une organisation politique et juridique sur laquelle tous les citoyens ont prise. Ainsi pour les ordolibéraux, l’économie de marché, bien que nécessaire pour être libre, ne peut suffire à garantir la liberté et nécessite un État qui « arbitre, soigne, accompagne et incite ». Méconnu en France et délaissé dans les années 1980 au profit du libéralisme classique, il constitue pour l’auteur le moyen de répondre à la crise actuelle du libéralisme.
« Les ordolibéraux se distinguent des autres courants du libéralisme en requérant de la puissance publique qu’elle accompagne les transformations de la société inhérentes au fonctionnement de l’économie. Certes, la libre concurrence contribue à la justice sociale en cassant les rentes de situation et en laissant les marchés accessibles à de nouveaux acteurs. Mais cela n’est évidemment pas suffisant. »
Dans la première partie de l’ouvrage, Alexis dresse une histoire du libéralisme au sein de laquelle s’insère celle du courant ordolibéral. C’est notamment au moment de la crise de 1929, première vraie crise de l’histoire du libéralisme, et de la remise en cause de la politique du « laissez-faire » économique que se développe l’ordolibéralisme en Allemagne.
Face aux pensées totalitaires du national-socialisme et du communisme et à l’interventionnisme exacerbé promu par Keynes qui s’impose en Occident à partir du New Deal et jusqu’aux années 1980, le courant libéral ne disparaît pas pour autant. Il se compose alors d’une aile radicale incarnée par Hayek et Friedman notamment, et d’une aile plus modérée, « européenne », incarnée par Rustöw et Röpke notamment. Alors que c’est la ligne radicale qui sera reprise au moment du grand retour du libéralisme dans les années 1980, force est de constater que cette voie n’a pas totalement fonctionné comme en témoigne la crise actuelle du libéralisme. L’auteur préconise donc de renouer avec sa branche modérée, adoptée en Allemagne au sortir de la Seconde Guerre mondiale, mais trop peu appliquée ailleurs.
« D’où l’utilité de redécouvrir l’odolibéralisme, ce courant qui proposait un « autre » libéralisme et qui fut progressivement éclipsé. Parce qu’il constitue la seule option aux limites actuelles de nos systèmes tout en alliant liberté économique et respect des valeurs démocratiques. Parce qu’il est un libéralisme né des critiques mêmes du libéralisme, à l’heure où celles-ci paraissent plus que jamais pertinentes. »
Après avoir détaillé son développement théorique en Allemagne et en Autriche notamment, ainsi que sa mise en place en Allemagne par le ministre de l’Économie Ludwig Erhard, ainsi que ses reprises en Italie et en France, Alexis expose les idées de l’ordolibéralisme. Il présente une pensée économique complexe, fondée sur une constitution économique, favorisant la concurrence, la liberté des prix et l’entrepreneuriat contre la bureaucratie. Pour autant, pour les ordolibéraux, l’homme n’est pas qu’un homo œconomicus entièrement mû par ses intérêts propres et la recherche de l’utilité économique.
Rejetant la « main invisible » de Smith, les ordolibéraux souhaitent la présence d’un « État arbitre » à même de casser les monopoles, favorisant la décentralisation dans tous les aspects de la vie, de la concentration démographique dans les villes à la taille des exploitations agricoles. Dans l’ensemble, Alexis nous dépeint une philosophie qui se méfie de la concentration des pouvoirs qui, selon Röpke, favorise les abus, le chauvinisme et finalement la guerre et qui repose sur une responsabilité éthique individuelle. À rebours du libéralisme classique, c’est donc une pensée qui pose l’interdépendance des sphères culturelles, politique, économique, sociale.
Reconnaissant certaines limites à la pensée ordolibérale telle que conceptualisée par Röpke, Alexis termine son ouvrage par la proposition de mesures concrètes applicables à époque actuelle, comme l’instauration d’un revenu universel, d’une taxe carbone ou la mise en place d’un Small Business Act européen. Beaucoup de propositions partagées par GenerationLibre et que nous présentions dans notre dernier ouvrage aux PUF Esquisse d’un libéralisme soutenable écrit par Claude Gamel, qu’Alexis mentionne dans son ouvrage.
« Le néolibéralisme est mort, vive l’ordolibéralisme ! »
Pour lire notre ouvrage Esquisse d’un libéralisme soutenable, écrit par Claude Gamel, cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Liber : un revenu de liberté pour tous », cliquer ICI.
Publié le 04/07/2023.