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#4 Un planisme pur et parfait ? – Les Voyages de Gaspard dans l’IA

#4 Un planisme pur et parfait ? – Les Voyages de Gaspard dans l’IA

Dans le quatrième épisode du voyage au coeur de l’intelligence artificielle (IA), Gaspard Koenig se demande à quoi ressemblerait une société sans libre arbitre. Il tire jusqu’à ses ultimes conséquences la logique algorithmique.

 

Pour illustrer sa réflexion, Gaspard nous décrit sa rencontre avec le compositeur David Cope, célèbre pour avoir créé un algorithme capable de (re)produire des morceaux à la manière de Bach. Cet homme a réussi à transformer le génie de Bach en une méthode de productions de son. L’IA bouleverse désormais le rapport à la création.

David Cope estime que nous sommes tous des machines et que nous devrions traiter la psychologie comme une science du cerveau et nous réjouir de l’augmentation prochaine de nos capacités cérébrales. Selon lui, l’art ne reflète aucune personnalité et ne revêt aucune signification.

Ce n’est plus l’artiste qui fait l’art, c’est l’art qui élimine l’artiste.

Gaspard cite d’autres exemples d’approches similaires à celle de David  et nous montre la fascination du public pour l’automatisation de la création. Il souligne, par exemple, que de nombreux chercheurs travaillent à trouver la recette du robot écrivain. Poussant le raisonnement plus loin, Gaspard s’imagine qu’à force de nourrir l’IA de millions de narrations, des textes pourraient se composer au fur et à mesure de la lecture en fonction de nos réactions et de nos attentes. Gaspard s’interroge sur le devenir des auteurs. La création n’est désormais plus l’exaltation du moi mais sa dissipation. Ce n’est plus l’artiste qui fait l’art, c’est l’art qui élimine l’artiste.

Au-delà de l’impact qu’elle a sur l’art, l’IA remet également en question le principe du marché où la variation des prix doit permettre d’ajuster l’offre à la demande. Pour mieux comprendre son effet, Gaspard nous raconte son entretien avec Jonathan Hall, économiste en chef de Uber. 

De cette entrevue, il retient une chose : Jonathan s’en tient au spot market et résiste encore au dispatch. En d’autres termes, Uber considère les chauffeurs comme des individus rationnels réagissant à un signal-prix. Hors de question de préempter leur choix, le principe de l’incitation financière doit suffire à réguler le marché sans avoir besoin de recourir à la contrainte.

L’IA attaque frontalement le libre arbitre puisqu’elle menace la capacité pour l’homo oeconomicus de prendre ses propres décisions dans un marché libre.

Libéral assumé, Jonathan pense nécessaire de préserver le principe du marché, fondé sur le libre arbitre des participants. En effet, il est conscient qu’en traitant les individus comme des automates, on risque d’atrophier leurs capacités cérébrales, générant à terme des risques encore plus lourds. De plus, se reposer sur le mécanisme des prix pour ajuster l’offre à la demande permet de se dispenser de la collecte d’informations plus intrusives. Conserver l’anonymat du marché permet en outre de donner une chance à tous.

Néanmoins la vision de Jonathan ne fait pas l’unanimité. Chez Didi, par exemple, les ingénieurs ont préféré choisir le dispatch sur les incitations pour une meilleure efficacité. Leurs algorithmes prédictifs peuvent déterminer avec une grande exactitude qui aura besoin d’un véhicule, à quelle heure, à quel endroit et pour quel trajet. Suivant cette logique, ne serait-il effectivement pas plus simple d’assigner les courses à l’avance, quitte à dédommager les chauffeurs en fonction de leur productivité ?

Si les prédictions sur l’ensemble de nos comportements atteignaient une précision suffisante, on pourrait alors se passer du marché et ajuster de manière centralisée l’offre à la demande. Chacun serait “dispatché” vers ses études, ses employeurs ou ses amours.

Si le monde pouvait être modélisé en une seule heat map, si les prédictions sur l’ensemble de nos comportements atteignaient une précision suffisante, on pourrait alors se passer du marché et ajuster de manière centralisée l’offre à la demande.

Le contraste entre Uber et Didi met donc en lumière un dilemme assez radical : s’en tenir au marché pour des raisons de principe ou céder à une forme de planification totale par soucis d’efficacité. L’IA attaque ainsi frontalement le libre arbitre puisqu’elle menace la capacité pour l’homo œconomicus de prendre ses propres décisions dans un marché libre.

L’IA brise également l’organisation démocratique traditionnelle. Les gouvernants se retrouvent dépassés par l’essor de cette dernière et sont incapables de comprendre les évolutions en cours. L’audition de Mark Zuckerberg devant le Congrès américain, après le scandale de Cambridge Analytica en est un parfait exemple. Cet épisode a cruellement souligné l’incompétence des parlementaires, réduits à poser des questions d’ordre général sans difficultés pour le fondateur de Facebook.

Les gouvernements essaient néanmoins de rattraper leur retard. Le Danemark a ainsi nommé un “ambassadeur tech”, chargé de la relation avec les Gafa afin de réaffirmer sur le terrain le rôle des Etats. Cette initiative a aussi permis d’influencer d’autres pays comme la France, qui a nommé fin 2018 un “ambassadeur pour le numérique”. Pénétrer la Silicon Valley reste cependant extrêmement complexe. Les anciens startupeurs n’ont aucune considération pour les institutions étatiques traditionnelles et ne se privent pas de leur faire sentir. Ces initiatives font plus l’effet de Don Quichotte face aux moulins à data.

On voit ainsi comment pourrait naître une forme de gouvernance par l’utilité, assurée de manière diffuse par des IA en réseau.

Pour illustrer l’alternative à la démocratie classique générée par l’IA, Gaspard nous parle de sa rencontre avec l’entrepreneure Amira Yahyaoui. Cette dernière considère que l’IA inaugure une ère de “droits sans démocratie”. Les services numériques, en s’adaptant à nos besoins les plus secrets, donnent le sentiment justifié que tout nous est dû. La tech a en effet fait naître en nous une exigence de service qu’aucune déclaration des droits de l’homme ne pourrait remplacer. 

Gaspard s’interroge donc sur la capacité qu’ont les millénials à réclamer des droits sans accepter les devoirs. Il se demande si cela ne serait justement pas le propre d’une génération nourrie à l’IA et le signe d’un déclin irrémédiable de la fonction élective.

Pour Amira, les gouvernements sont des “boulets” et elle ne verrait pas d’un mauvais oeil leur disparition. Ses instincts rejoignent également les thèses de Yascha Mounk, chercheur en sciences politiques, qui a théorisé la déconnexion entre des “droits sans démocratie”, garantis par des juges ou des bureaucrates, et des “démocraties sans droits”, que l’on voit progresser de la Russie à la Turquie en passant par la Hongrie.

Ce quatrième volet du “voyage au coeur de l’intelligence artificielle” décrit ainsi comment pourrait naître une forme de gouvernance par l’utilité, assurée de manière diffuse par des IA en réseau.


Pour lire l’épisode 4 « Ils ont ressuscité Bach ! » en intégralité dans Le Point cliquer ICI.

Pour lire l’épisode 3 « Etes-vous plus fort que Google Maps ? » en intégralité dans Le Point cliquer ICI.

Pour lire l’épisode 2 « Éclairez-moi, Dr Langlotz ! » en intégralité dans Le Point cliquer ICI.

Pour lire l’épisode 1 « Le Turc mécanique » en intégralité dans Le Point cliquer ICI.

Pour lire l’éditorial d’Etienne Gernelle « Gaspard Koenig, un reporter d’idées sur les traces de l’intelligence artificielle » , cliquer ICI.

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