
Retour sur le webinaire organisé par GenerationLibre pour présenter, avec son auteur et ami Daniel Borrillo, sa nouvelle note « Du harcèlement sexuel au harcèlement de la sexualité ». Contre l’essentialisme qui s’infiltre jusque dans le droit, Daniel appelle à réhabiliter l’universalisme pénal et à approfondir la libre disposition de soi.
La lutte contre les violences faites aux femmes est indispensable. Mais d’une lutte légitime contre les violences sexuelles ou pour l’égalité femmes-hommes, elle dérive vers une répression de la sexualité, alerte Daniel qui analyse le corpus idéologique des mouvements féministes les plus radicaux. À l’opposé du féminisme classique qui fonde sa lutte sur une quête d’émancipation organisée autour des droits fondamentaux, ce « néo-féminisme » essentialiste, que l’on retrouve dans certains des campus américains, suit une logique de répression et décrète la Femme victime et l’Homme bourreau.
Dans notre nouvelle publication, Daniel, juriste et chercheur associé au CNRS, analyse les ressorts de cette mouvance et en particulier la notion de « continuum des violences » sur laquelle elle s’appuie. D’après ce principe, toute femme est nécessairement victime et le viol n’est que l’apogée d’un système de domination qui commence dès le regard. Cette idéologie conteste donc automatiquement le droit pénal puisqu’il s’agit d’une part d’un outil au service des dominants – les hommes – et d’autre part puisqu’il ne peut condamner la violence d’un simple regard. À rebours de l’État de droit, cette contestation de la justice légitime les tribunaux populaires tenus sur les réseaux sociaux qui jugent et détruisent des vies sans autre forme de procès.
« J’étais surpris d’entendre dire que l’État et la police ne faisaient rien contre les violences sexuelles alors que je constatais tout le contraire. »
Le néo-féminisme s’insurge donc de l’inefficacité du droit – qui pourtant nous protège – et parle même de « complicité » systémique de l’État et de la police – si des abus existent et doivent être combattus, le reproche paraît outrancier. Si une intervenante souligne que l’entreprise de déconstruction de l’Homme est intéressante culturellement, ou comme le rappelle Violaine de Filippis dans sa chronique de la semaine pour l’Humanité (1), pour Daniel, il faut, en revanche, lutter contre l’introduction de cette entreprise morale dans le droit. Daniel démontre l’existence d’une surenchère normative en matière de crimes sexuels ainsi qu’une lente colonisation du droit et des discours officiels par certains concepts essentialistes comme « féminicide », « domination masculine », etc.
D’où l’inquiétude de Daniel de voir nos sociétés retomber dans une forme de puritanisme qui, d’une lutte qui doit toujours être menée contre les violences sexuelles faites aux femmes, s’attaquerait progressivement à la libre sexualité des individus et, à rebours de ce qu’il reste encore à conquérir, amoindrit la libre-disposition du corps des femmes – et des hommes – en combattant le travail du sexe, la GPA ou la pornographie.
Pour GenerationLibre, les combats à mener en droit sont clairs, à commencer par la légalisation du travail du sexe qui permettra d’autant mieux aux travailleuses – et travailleurs- du sexe de se protéger, ou encore la légalisation de la GPA, qui permettra aussi de protéger les femmes porteuses. La pénalisation des clients de la prostitution décidée en 2016, sous l’influence de ces courants féministes abolitionnistes, a au contraire aggravé les violences. Si l’on sépare droit et morale, la légalisation permet de réguler des pratiques, non pas selon des valeurs subjectives, mais pour s’assurer d’un seul principe moral : le libre consentement de chacun.e.s.
« La violence doit être sanctionnée en tant qu’attentat à l’autonomie individuelle et au consentement libre des individus, indépendamment de leur genre et de leur sexualité. »
En matière juridique, c’est aussi à la déconjugalisation du droit qu’il s’agit de s’attaquer urgemment comme l’explique récemment le candidat Gaspard Koenig à l’appui de plusieurs propositions de GenerationLibre pour individualiser notre système socio-fiscal (2). Récemment, Nicolas Gardères et Violaine de Filippis expliquaient dans Libération que la proposition phare de revenu universel portée par notre think tank, en tant que mécanisme socio-fiscal individualisé (contrairement au RSA dont le montant diminue en fonction du revenu du conjoint), était à même de réduire les écarts de revenus au sein du couple et de permettre d’échapper autant à un travail subi qu’à la puissance financière du mari – ou de l’épouse (3). C’est aussi un sujet pour le handicap : en individualisant l’AAH (Allocation aux adultes handicapés), on permettrait aux handicapés de ne pas avoir à choisir entre une vie de couple (au risque de voir l’aide diminuée) ou le renoncement à celle ci (pour conserver le montant maximal).
Ces questions autour du genre et du sexe font couler beaucoup d’encre, et électrisent aussi certains débats. Les commentaires de plusieurs participants au webinaire le confirment : entre assignation identitaire (réelle ou supposée) de genre, de sexe et de sexualité de Daniel – comment un homme pourrait parler de ce que vivent les femmes ? – et commentaires grossiers, il apparaît évident, comme le souligne une Française expatriée, que les libertés sexuelle et de parole ne vont aujourd’hui toujours pas (toujours moins ?) de soi en France.
Pour retrouver la note d’analyse écrite par Daniel Borrillo, cliquer ICI.
(1) Pour lire la chronique « Pécresse, une vraie « femme de droite » », cliquer ICI.
(2) Pour lire notre billet « RSA, AAH : déconjugaliser pour mieux émanciper », cliquer ICI.
(3) Pour lire notre billet « Le revenu universel, un outil pour les femmes contre les violences conjugales », cliquer ICI.
Publié le 16/02/2022.