Nos actus

Le Sénat, le libre arbitre et nos data – Gaspard Koenig

Le Sénat, le libre arbitre et nos data – Gaspard Koenig

Lors d’un colloque organisé par Cyberlex, au Sénat, Gaspard Koenig défend le modèle de patrimonialité des data pour redonner du pouvoir à l’internaute face au GAFAM.

 

Philosophe de terrain, Gaspard a écumé les pays (États-Unis, Chine, Israël, Danemark, UK, France) dans le cadre d’un long reportage de trois mois sur l’écosystème professionnel de l’intelligence artificielle. Immergé dans ce monde du numérique, il a rencontré des chercheurs, des entrepreneurs ou des investisseurs et a pu saisir les ressorts de ce milieu ainsi que les questions philosophiques que pose l’immixtion de l’intelligence artificielle dans notre quotidien. Se disant choqué par ce qu’il a observé durant son voyage, il estime que la manipulation des algorithmes telle qu’elles est pratiquée actuellement par les acteurs du numérique est quelque chose d’inquiétant.

À la différence du philosophe Jacques Ellul, Gaspard ne pense pas que nos sociétés évoluent sous le joug d’un fatalisme technologique. Sur ce point, l’anthropologie, et notamment le dernier ouvrage de David Graeber et David Wengrow, semble lui donner raison en démontrant que les sociétés dites primitives avaient un rapport volontaire et intentionnel aux technologies. Si certaines d’entre-elles se sédentarisaient et choisissaient l’agriculture, d’autres alternaient des phases de nomadismes caractérisées par la chasse et la cueillette et des phases sédentaires agricoles. Le rapport à la technologie est donc le fruit de choix politiques divers et conscients.

“Dans le monde algorithmiques du nudge, les notions d’État de droit et de sujet de droit sont fortement remises en questions. Le sujet de droit est celui qui peut librement se déterminer. Plongé dans le monde technico-physique du déterminisme algorithmique, l’individu n’est plus responsable, ni coupable de rien.”

Néanmoins, nos sociétés contemporaines, par l’arrivée d’un discours et d’une pratique encensant la disruption numérique, nous empresse de repenser notre rapport juridique à la technologie. Ce nouveau discours aux accents révolutionnaires s’affranchit de l’État de droit au nom de l’innovation et de la capacité qu’auraient les algorithmes à anticiper nos préférences et donc à orienter nos comportements. Pour Gaspard, il est impératif que ce nouveau monde numérique conserve les préceptes fondateurs de notre modernité, tels qu’ils sont définis dans la déclaration universelle des droits de l’homme, parmi lesquels le droit de propriété et la liberté d’expression.

La notion de sujet de droit devient extrêmement complexe à saisir dans un monde fait d’algorithmes et de nudge en ce qu’elle implique de penser un libre arbitre dévolu à chaque individu permettant la réalisation d’actions librement consenties. L’historien Yuval Noah Harari pose cette question dans son ouvrage « Homo Deus » en imaginant et en souhaitant un monde où le nudge soit tellement puissant qu’il oriente l’individu de façon à optimiser son bien-être, à connaître l’individu mieux que lui-même et à définir ses préférences mieux qu’il ne le ferait. Sur le plan théorique, matériel et technologique, penser de cette manière revient à renoncer à l’idée du libre arbitre. Aux États-Unis, sous l’impulsion de diverses disciplines scientifiques – économie comportementale, les neurosciences et  psychologie cognitive – se met en place un consensus intellectuel qui vise à anticiper les décisions humaines et nos biais cognitifs afin de régler la sempiternelle controverse philosophique opposant déterminisme et libre arbitre. Gaspard ne peut se résoudre à s’insérer positivement dans les logiques algorithmiques utilitaires fondées sur la manipulation et donc sur l’extinction du libre arbitre in fine du sujet de droit. Cette conversion aux logiques algorithmiques fait fi de la question de la responsabilité des décisions prises. Comment juger le sujet de droit s’il n’a plus l’option de ne pas respecter la loi ?

“Si Facebook réalise actuellement des milliards de bénéfices trimestriels c’est en utilisant gratuitement la matière première qui échappe aux producteurs.”

Outre les problématiques éthiques posées par ce monde de la data, Gaspard estime que celui-ci fonctionne comme un système féodal. À l’image du serf qui donne toute sa production au seigneur en échange de sa protection contre la guerre, l’individu donne ses data sans pouvoir les contractualiser mais bénéficie d’un service biaisé en acceptant des conditions d’utilisation en sa défaveur. Pour Gaspard, la data doit rentrer dans le champ du droit de propriété car il redonne à l’individu son libre arbitre en lui permettant de définir et d’accepter ou non les modalités d’échange de ses données.

Ainsi, la patrimonialité des données changerait indéniablement le rapport de force avec les GAFAM. Les banques et assurances pourraient servir d’intermédiaires dans l’échange en stockant les données des individus, à la manière de nos comptes financiers, et en définissant les conditions de contractualisation des données entre l’individu et les plateformes. Patrimonialiser les données permettrait ainsi aux individus d’être rémunérés en toute conscience de l’usage qu’ils font de leurs données.

Dans ses deux rapports intitulés “Mes data sont à moi” et « Aux data citoyens », GenerationLibre plaide pour lutter contre le marché oligopolistique des grandes plateformes et pour l’introduction d’un système de prix, subtil équilibre entre marché et régulation, qui protège la confidentialité des internautes et les replace dans la chaîne de valeur du numérique tout en promouvant la concurrence dans un véritable marché.


Pour voir l’audition de Gaspard, cliquer ICI.

Pour relire l’article sur le débat Yuval Harari / Gaspard Koenig organisé partenariat avec Le Point, cliquer ICI.

Pour lire notre rapport “Aux data, citoyens”, cliquer ICI.

Pour lire notre rapport “Mes data sont à moi”, cliquer ICI.

 

Publié le 25/07/2022.

Toute l'actu
Debates
Videos
Charger + d'actu

Suscribe to our newsletter