Dans un entretien pour notre recueil en hommage à Raymond Aron (le consulter ICI), David Lisnard considère l’intellectuel comme le représentant d’une droite humaniste et responsable. A la lumière de sa pensée, il appelle à mettre en oeuvre une subsidiarité ascendente et horizontale, à débureaucratiser et à penser l’intelligence artificielle et l’environnement selon une approche libérale.
Raymond Aron n’aimait pas les facilités. Il parvenait à pourfendre le conformisme, qui alimente le « révolutionarisme », et tout autant la démagogie. En cela, il œuvrait comme nul autre pour la démocratie, forcément exigeante. Car la liberté est un combat. Rendre hommage à Raymond Aron, en évoquant les grandes lignes d’une œuvre de vie si profuse, est une entreprise de justice, salutaire, à l’endroit de l’un des plus grands penseurs français du siècle dernier qui, longtemps, trop longtemps, souffrit d’une mise à l’index causée par l’idéologie marxiste alors dominante dans les milieux universitaires et intellectuels. De tous ceux de la « génération de 1905 », étudiée par l’historien Jean-François Sirinelli, Raymond Aron est assurément un spécimen bien à part. « Bon élève type », comme il se décrit lui-même, il fut major à l’agrégation de philosophie à seulement vingt-trois ans tandis que son condisciple normalien, Jean-Paul Sartre, y échouait avant de l’obtenir, lui aussi en première place, l’année suivante. Je n’entends pas faire de la rivalité Aron-Sartre le cœur de mon propos, mais il convient, malgré tout, de rappeler le magistère intellectuel tout-puissant exercé par le second à une époque où les idées du premier, imprégnées de liberté, d’ordre et de responsabilité, étaient reléguées en dernière zone.
Tandis que Sartre se complaisait, les années passant, dans une rancœur et un sectarisme dangereux pour tous ceux qui pensaient différemment, Aron prenait sa part dans le cortège des idées, écrivait, s’interrogeait sur la marche du monde et en fournissait, toujours avec modestie, quelques clés de lecture, quitte, s’il le fallait, à se remettre en cause. N’oublions pas que l’époux de Simone de Beauvoir, dont le positionnement politique a insidieusement varié au gré des évènements et de son opportunisme patenté, s’est toutefois montré constant dans sa défense aveugle du communisme et des régimes totalitaires qui en découlaient, à tel point qu’il déclara, pétri de tolérance, que « tout anticommuniste est un chien ».
Raymond Aron, qui ne pouvait que se sentir visé par une assertion d’une telle violence, demeura pourtant, et jusqu’à son dernier souffle, d’une inaltérable élégance envers son camarade d’antan. Préférant le débat et la confrontation des points de vue aux incantations moralisatrices, l’auteur de L’Opium des intellectuels, qui poussait un peu plus loin le constat de la « trahison des clercs » (Julien Benda) et de la « littérature à l’estomac » (Julien Gracq), se caractérisa, en toutes circonstances, par son respect de la différence, soulignant que l’intellectuel doit s’efforcer de « n’oublier jamais ni les arguments de ses adversaires, ni l’incertitude de l’avenir, ni les torts de ses amis, ni la fraternité secrète des combattants ». La messe est dite. De ce filon dénué de la moindre ambigüité, Aron fit son sextant par vent calme comme tempétueux, son impératif catégorique et n’en dévia pas de toute son existence.
« Raymond Aron fut l’incarnation d’une droite humaniste, raisonnée, responsable et donc respectable. »
Partant, j’aimerais, aujourd’hui, renverser le paradigme qui a trop longtemps prévalu dans les esprits d’une intelligentsia omnipotente. De l’après-guerre au début des années 1980, on scandait, ici et là, avec une fierté déconcertante, qu’il valait « mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ». Par cette formule qu’aucun individu sensé ne doit pouvoir légitimer (et pourtant…), Raymond Aron a bel et bien été mis au ban de tout un pan de la société, qui avait choisi son camp, résolument opposé au sien, celui de la Raison. A défaut de chercher à avoir raison avec Aron – car ce ne me semble pas le défi à relever –, tâchons en tout cas de tirer le meilleur de son legs et ainsi dire combien son apport mérite non seulement sa place dans le monde contemporain, mais doit être connu et enseigné à une génération qui en ignore le principal, à l’exception bien sûr des quelques spécialistes avertis. Vilipendé naguère par une bonne partie de la gauche française (à l’instar d’un Raymond Boudon ignoré ou dénigré en France pour lui préférer, dans le monde des sciences humaines, Pierre Bourdieu et son habitus néo-marxiste), Raymond Aron ne sut jamais vraiment, en ce qui le concerne, où fut sa propre droite. Ou plutôt, il s’offrait la liberté, égale à aucune autre, de ne pas se laisser enfermer par quelque catéchisme que ce soit.
Admiratif du Général de Gaulle (qu’il cite à maintes reprises dans ses passionnants Mémoires, un modèle du genre), il soutint sans réserve le chef de la France Libre (« je crois que le plus grand événement d’art oratoire radiophonique de notre époque, ce sont les discours du Général De Gaulle »), l’homme de la Constitution de 1958 ou encore celui qui réforma l’économie française à la suite d’une IVe République essoufflée. Mais loin de se muer en panégyriste inconditionnel, tel un François Mauriac dans ces mêmes années, Raymond Aron n’hésita pas à marquer fermement ses divergences de vue. Ce fut le cas, en l’espèce, sur les relations franco-américaines, le philosophe reprochant à l’homme de Colombey son antiaméricanisme, comme sur la question d’Israël, sans doute plus déchirante pour le « spectateur engagé », qui ne cautionnait pas les déclarations du Président de la République lors de sa conférence de presse en novembre 1967.
« Se remémorer Aron, […] c’est prendre le parti de l’élégance face à l’intolérance et au dogmatisme. »
Raymond Aron, c’était cela partout, tout le temps, quelles que soient les circonstances : rien, hormis sa propre exigence d’une pensée respectueuse des faits et de la rigueur argumentaire, ne pouvait altérer sa liberté d’agir, de s’exprimer, d’être tout simplement, quitte à casser quelques idées reçues sur sa prétendue inféodation à une personne ou à un système de pensée. Il est peu connu du grand public, par exemple, qu’il s’est attaqué en bonne et due forme à « l’achèvement de la puissance bureaucratique » dans notre pays, dénonçant « l’extension de cette rationalisation autoritaire à l’homme lui-même, à des activités humaines qui semblaient, par essence, comporter la liberté, la spontanéité ». En économie, il usait de la même liberté d’approche et de ton pour éviter tout enfermement idéologique. Ainsi, reprochant sa vision dogmatique à Friedrich Hayek, Aron prône la confiance en la démocratie comme finalité du libéralisme, et affirme que « l’authentique morale des démocraties est une morale de l’héroïsme, non de la jouissance ». Il précise, dans Le grand schisme, sa position : « Mais, en Europe occidentale, la planification intégrale est inconcevable, sinon comme un sous-produit de l’invasion soviétique, et un libéralisme intégral exclu, aussi bien par les circonstances économiques que par la psychologie des hommes. La tâche est de rendre viable le régime mixte qui, jusqu’à présent, ne l’est pas ». Aussi, tout en plaidant pour la « sauvegarde des valeurs essentielles de la démocratie politique », il défend la nécessité d’adopter « certaines méthodes de direction économique ». Plus surprenant, Raymond Aron ira même, au mitan des années 1950, jusqu’à reconnaître qu’il se sent proche de certaines idées de John Maynard Keynes, tout en sachant, en authentique libéral qu’il est, qu’elles sont difficilement compatibles, dans les faits, avec une politique économique qui laisse leur nécessaire latitude aux forces du marché. Inclassable, vous dis-je.
Dans son magnifique Essai sur les libertés, comme pour mieux affirmer encore son libéralisme, Aron s’inscrit clairement, et pour notre plus grand plaisir, dans la lignée de Montesquieu et Tocqueville, ce dernier ayant une place de tout premier choix dans sa matrice intellectuelle. Il y rappelle la distinction opérée par Marx (dont Aron connaissait bien l’œuvre) entre libertés formelles et libertés réelles, défendant le postulat que les secondes ne sont rien sans être subordonnées aux premières (et déplorant, chez Hayek, son « marxisme inversé »). C’est bien cela qui fonde le socle de toute démocratie libérale. Il ne faut jamais perdre de vue, lorsque l’on s’arrête sur le cheminement de Raymond Aron, qu’il a traversé un siècle mutilé par deux guerres mondiales, auxquelles a succédé une « guerre froide » établissant de nouveaux rapports de force géopolitiques, stratégiques, économiques et diplomatiques. Ce faisant, sa théorisation des relations internationales est intimement liée à son souci de comprendre l’action humaine et son incidence sur les décisions politiques comme sur la vie des citoyens. De son premier article, De l’objection de conscience (janvier 1934) où l’on sent l’influence d’Alain, à son magistral ouvrage Penser la guerre. Clausewitz (1976), Aron s’est affirmé par un réalisme singulier (se démarquant en cela de Morgenthau), où les considérations morales entrent en ligne de compte, qualifié par d’aucuns de néoclassique, et la devenue célèbre doctrine du soldat et du diplomate. Certes, la planète a considérablement évolué depuis, et les conclusions tirées du monde bipolaire d’alors n’ont plus lieu d’être. Quoique…Comment ne pas relire avec un intérêt lucide sur notre propre époque toutes les considérations de ce journaliste-philosophe (et inversement) sur les années 30 et le choc de l’Histoire qui en résulta. Au moment de la soutenance de sa thèse de philosophie, en 1938, dans laquelle il tranche avec le courant positiviste ambiant, Aron n’a en effet pas oublié son passage à Cologne puis à Berlin, de 1930 à 1933, lors duquel il assista à la montée du nazisme.
Il revint aussi particulièrement imprégné par deux figures intellectuelles allemandes que sont Heinrich Rickert et Max Weber. Le jeune philosophe devient dès lors penseur politique et vigie sur les affaires du monde. Toujours, il gardera cette curiosité insatiable et cette bonhomie qui le démarquaient sensiblement de nombre de ses contempteurs. En fait, témoigner, aujourd’hui, de notre gratitude intellectuelle et morale à Raymond Aron, c’est redire l’importance de ce qu’il a apporté au corpus du libéralisme, sans naïveté ni extrémisme. C’est souligner que, malgré l’ostracisme intellectuel dont il fut victime, il n’en demeura pas moins un remarquable éditorialiste, philosophe, mais aussi sociologue, économiste, historien, reconnu de par le monde, et qui rejoignit, comme une reconnaissance de son immense travail, le Collège de France en 1970 pour y professer au sein de la chaire de Sociologie de la civilisation moderne. Elève de Brunschvicg, ami de Canguilhem, il a inspiré tant d’intellectuels qui ont su assurer la digne relève de leur maître : Claude Lefort, François Furet, Pierre Hassner, Jean-Claude Casanova (avec qui il créa l’excellente revue Commentaire en 1978) ou encore Pierre Manent pour n’en citer que quelques-uns.
Se remémorer Aron, s’arrêter pour mieux s’approprier son cheminement idéologique, en de si multiples domaines, c’est choisir un antidote puissant face aux maux – du déconstructionnisme au wokisme qui menacent en maccarthysme inversé et tyrannique notre société, de l’aigreur ou de la peur qui mènent à tous les populismes, de la paresse et du cynisme qui alimentent toutes les démagogies – qui entendent déstabiliser notre monde, où le bavardage insipide remplace trop souvent l’effort de compréhension de l’autre et de l’ailleurs. C’est également prendre le parti de l’élégance face à l’intolérance et au dogmatisme.
« Raymond Aron ne sut jamais vraiment, en ce qui le concerne, où fut sa propre droite. Ou plutôt, il s’offrait la liberté, égale à aucune autre, de ne pas se laisser enfermer par quelque catéchisme que ce soit. »
C’est enfin se doter de quelques pistes pour penser le monde de demain, avec ses incertitudes et ses doutes. Aron en fut gorgé jusqu’au bout, et c’est en cela qu’il demeure une figure bien à part. Aux accents révolutionnaires, il préférait la réforme. A la bien-pensance et au conformisme, il préférait l’interrogation et la rigueur imaginative, le surmoi plutôt que le ça, le refoulement des bas instincts et des pulsions primitives qui n’amènent jamais rien d’heureux et surtout de constructif. Laissons vivre et prospérer les initiatives créatrices.
Sachons tirer de l’œuvre de Raymond Aron comme de sa sagesse un tout régénérateur mêlant conciliation, efficacité et liberté. Face aux nombreux défis du 21e siècle, que sont notamment l’intelligence artificielle et l’environnement, son libéralisme est la voie la plus pertinente, aussi bien en termes éthiques pour une certaine idée de l’homme, que d’efficacité. Le politique doit y puiser pour aérer la société française, instaurer partout une véritable subsidiarité, horizontale et ascendante, et recentrer l’action publique nationale sur sa raison d’être, c’est à dire la justice et tout ce que cela implique dans le régalien et le champ social. Que l’Etat cesse de se mêler de ce qui ne le regarde pas, de vouloir tout régenter, d’entraver a priori l’usage parce qu’il ne parvient pas à réprimer a posteriori l’abus. Etre fort avec les faibles et faible avec les forts ne peut mener qu’à la sédition.
L’infantilisation permanente couplée à la bureaucratisation galopante constitue un mélange destructeur. Sur l’incontournable question climatique, par exemple, une approche libérale consisterait à sanctionner les pollueurs et à promouvoir une économie écologique de marché, qui mobiliserait la dynamique entrepreneuriale et la force du capitalisme pour changer les modes de production de biens et de services, en contraste avec les mesures inefficaces et liberticides de la décroissance comme de l’écologie sur-administrée, dont le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE, après les ZFE et le ZAN…) est une des dernières expressions. Le moralisme écologique non seulement devient chaque jour plus pénalisant pour les habitants et nos entreprises, mais aussi s’avère sans efficacité sur ses finalités environnementales en comparaison de la puissance d’une politique de « décarbonation » de l’activité reposant sur le Droit international pour lutter contre les distorsions écologiques de concurrence, la science, l’innovation, l’investissement massif dans les solutions énergétiques et de tout ce qui peut préserver et dépolluer la planète. Sur tous les sujets, il s’agit de faire gagner la Raison critique et de régénérer l’esprit civique. Raymond Aron fut l’incarnation d’une droite humaniste, raisonnée, responsable et donc respectable. C’est cette droite qu’il faut rétablir. Dans l’intérêt de la démocratie et pour l’avenir de notre pays.
Pour lire notre recueil en intégralité, cliquer ICI
Dans la Revue de philosophie économique, Benoît Walraevens publie une belle recension de notre ouvrage « Esquisse d’un libéralisme soutenable » signé Claude Gamel, troisième ouvrage de la collection de notre think tank aux Puf sorti en 2021.
À l’aune des travaux d’Hayek et de Rawls, Claude Gamel nous livre dans cet ouvrage une utopie libérale à la française adaptée à nos enjeux socio-économiques, ainsi que des propositions de politique publique ambitieuses et efficaces. Loin d’être une simple conception utopique non réalisable, il s’agit plutôt d’un « modèle de société alternatif et idéal » selon la définition de Benoît Walraevens.
« Le but avoué de Gamel est d’identifier les principes libéraux qui, « correctement appliqués », permettent « d’amplifier les avantages du capitalisme et de voir ses inconvénients au mieux neutralisés », afin d’imaginer et de dessiner un libéralisme socialement et écologiquement « soutenable ». »
Benoît Walraevens explique que dans son ouvrage, Claude Gamel juge l’approche libérale de Hayek trop rigoureuse et « peu désirable pour les individus », tandis que celle de Rawls lui apparaît « supportable » et permettant de « réconcilier libéralisme et égalitarisme ». Aux yeux de l’auteur de la recension, la vision de Rawls semble donc se rapprocher de la devise de la République française, ce que Claude Gamel tente aussi de faire en préservant la notion de justice dans sa proposition libérale. Pour ce faire, Claude Gamel nous partage sa vision d’un « libéralisme soutenable » et détaille dans cet ouvrage des propositions que GL défend ardemment : le revenu universel ainsi que la tarification carbone.
Pour commencer sa recension, Benoît Walraevens explique que Claude Gamel prône une démocratie de propriétaires qui vise à une « dispersion maximale du pouvoir économique » pour éviter les dérives oligarchiques. Ce dernier appelle à plus de fluidité dans le marché du travail, qu’il juge trop « rigide et protecteur ». C’est pourquoi il propose un ensemble de solutions nouvelles et radicales (se rapprochant des idées de Piketty) : suppression du CDI, mise en place d’un contrat de travail unique, partage du profit entre l’entreprise et ses salariés, forme de cogestion pour plus de représentativité des salariés…
« Toujours est-il que ce genre de mesures permet de dessiner le cadre institutionnel possible d’une démocratie de propriétaires et s’inscrit bien dans la lignée du libéralisme égalitaire, visant à atténuer certains effets délétères du libéralisme économique. »
Aussi, Benoît Walraevens revient sur le « financement alternatif de la protection sociale » que Claude Gamel défend, notamment par la suppression des cotisations sociales (financée par la seule CSG). Cette idée, portée de longue date par GL, implique la mise en place d’un revenu universel inconditionnel, qui inclurait les risques famille et pauvreté et s’inscrit dans sa théorie de justice sociale. Ce système « à l’anglaise » permettrait d’assurer à chacun un minimum essentiel et d’être libre de se protéger, ou non, face à certains risques sociaux.
« La mise en place de ce crédit d’impôt universel nécessite, en parallèle, une réforme profonde à la fois de la protection sociale et de la fiscalité, en commençant par la première. Ainsi, l’allocation universelle viendrait remplacer les divers minimas sociaux (…). »
Benoît Walraevens met ensuite en exergue les « politiques d’enrichissement des capacités » défendues par Claude Gamel, c’est-à-dire sa volonté de réformer des institutions et secteurs particuliers afin d’offrir plus de choix de vie individuels (formations, démocratisation qualitative de l’enseignement supérieur, accès à la culture, traitement de la pauvreté et du handicap…). Claude Gamel y cible trois axes : le développement de la capacité du jeune mineur, la capacité du jeune adulte et aussi la possibilité de changer de voie au cours de sa vie.
Dans la dernière partie du livre, Claude Gamel s’attarde sur la mise en place d’un revenu universel qu’il considère comme « l’instrument d’une liberté réelle ». Benoît Walraevens émet cependant certaines réserves quant à la forme et surtout au montant de ce revenu, qu’il juge relativement faible (500 euros par mois). Comme le préconisent notre fondateur Gaspard Koenig et notre expert Marc de Basquiat, ce « socle de protection sociale » serait financé par un impôt sur le revenu à taux unique de 25%. Claude Gamel reste pragmatique quant à la mise en place d’une telle réforme, qui doit être instaurée de manière progressive avec un réel consensus autour d’un nouveau contrat social.
« Gamel reconnaît que le montant de son revenu de base serait inférieur à celui des différents transferts sociaux ciblés auxquels il se substituerait, mais que cette perte économique serait compensée, « au moins en partie », par les « avantages en nature » que celui-ci génèrerait comme un pouvoir (de négociation) accru et une plus grande dignité. »
Dans la conclusion de cet ouvrage, Claude Gamel évalue la viabilité de son libéralisme soutenable à long terme. Une des problématiques soulevées étant celle de l’urgence climatique, Claude Gamel y répond par l’éventuelle instauration d’une taxe carbone et d’un marché de droits à polluer. Concernant l’instauration d’une taxe carbone, il se base sur l’estimation faite par Christian Gollier du prix de la tonne de CO2 (soit 50 euros) avec un taux d’actualisation de 4% par an. Néanmoins, Claude Gamel relève lui-même deux limites majeures à cette taxe carbone. Tout d’abord, l’acceptabilité sociale qu’il solutionne par la mise en place d’un dividende carbone, c’est-à-dire en redistribuant les recettes sous la forme d’un montant identique pour tous. Puis, « les fuites de carbone », similaires aux évasion fiscales, qu’on pourrait éventuellement éviter grâce à la généralisation de cette taxe carbone au niveau mondial (trop compliquée à mettre en place).
« Cette question [écologique] est centrale aujourd’hui pour toute théorie de la justice sociale, et en particulier pour une théorie de la justice se revendiquant du libéralisme comme ici, car il n’est pas simple a priori de lutter efficacement contre le réchauffement climatique tout en accordant une prééminence aux libertés individuelles. »
Benoît Walraevens se penche sur la seconde solution proposée par Claude Gamel : celle d’un « marché mondial, unique, de droits à polluer » instauré de manière progressive. Il suggère la mise en place une « carte carbone mondiale », c’est-à-dire l’instauration d’un quota de CO2 attribué à chacun de manière individuelle. Cependant, Benoît Walraevens y voit une forme de contrôle social et donc, une menace au respect des libertés individuelles.
« Il défend l’instauration d’une carte carbone mondiale, c’est-à-dire d’un quota d’émissions égal octroyé à tous les habitants de la planète, conforme à l’idéal d’égalité en termes de justice climatique, soit une forme de « crédit universel de droits à polluer » en sus du crédit universel d’impôt que constitue le revenu de base. »
Même si l’auteur de cette recension soulève dans son argumentaire certaines limites, il rappelle que cet ouvrage ne représente finalement qu’une simple « esquisse » d’un libéralisme soutenable, ambitieuse bien que perfectible. Bien entendu, l’objectif n’est pas de modeler une société parfaite, mais plutôt de proposer des réformes radicales de notre modèle actuel afin d’atteindre un mode de fonctionnement viable, soutenable et efficace, tout en restant fidèles à nos valeurs.
« Il incombe maintenant à ses lecteurs de s’en emparer et de compléter ainsi ce nouvel horizon (libéral) des possibles que dessine l’ouvrage de Gamel. »
Pour lire la recension de l’ouvrage, cliquer ICI.
Pour (re)découvrir l’ouvrage « Esquisse d’un libéralisme soutenable », cliquer ICI.
Publié le 20/09/2023.
Dans une tribune pour La Gazette des Communes, nos experts Raul Magni-Berton, l’un des co-auteurs de notre rapport « Le pouvoir aux communes », et Ismaël Benslimane plaident pour notre « subsidiarité ascendante » afin de laisser plus de pouvoir à l’échelle locale.
Depuis les années 1980, quatre grandes réformes territoriales se sont succédé. Désormais, un cinquième chapitre de la décentralisation semble vouloir être porté par le président de la République. Mais comme l’expliquent nos experts, les réformes territoriales de nos gouvernements successifs prennent la forme de multiples propositions superfétatoires manifestant l’obsession technocratique du pouvoir par le haut.
« La prolifération ad nauseam des réformes territoriales, au point d’être devenu une forme de rite de passage pour tout gouvernement fraîchement élu, semble plutôt la marque de leur échec. »
Plus d’autonomie aux plus petits échelons : c’est ce que défend notre think tank dans sa volonté la plus profonde de décentralisation. Nous sommes convaincus que les collectivités territoriales sont les plus aptes à déterminer leurs propres besoins et nécessités. Pourtant, nos experts l’affirment : les multiples réformes n’ont servi qu’à attribuer plus de tâches aux élus locaux mais en leur retirant des responsabilités et donc, du pouvoir. Malheureusement, pour nos gouvernements, décentralisation rime avec transfert de compétences. Nos experts pointent du doigt une « recentralisation des pouvoirs associée à une décentralisation des tâches ».
« En un mot, ces réformes ont, dans le même mouvement, donné plus de travail aux élus locaux, tout en leur retirant des prérogatives. Quel comble ! »
Pour nos experts, le problème vient du manque de considération à l’égard des collectivités. Ces dernières ne sont pas assez impliquées dans le processus législatif et l’élaboration des politiques publiques, ce qui implique l’échec de ces réformes. Malheureusement en France, le pouvoir vient du haut et l’exécutif prime. Malgré la loi constitutionnelle de 2003 consacrant un principe d’expérimentation pour les collectivités qui peuvent « déroger au cadre législatif qui régit leurs compétences », pas grand chose n’a bougé. Cette proposition issue de la réforme constitutionnelle de 2003, trop complexe, n’a jamais abouti à des résultats pertinents.
« Les collectivités territoriales – même dans leur représentation nationale, par le Sénat – ont bien du mal à compter face à l’hégémonie du pouvoir exécutif. »
Nos experts dénoncent une subsidiarité jusqu’ici descendante, avec un État trop puissant qui prend les décisions que les collectivités se contentent d’appliquer. Ainsi, ils proposent de décentraliser par le principe de la subsidiarité ascendante afin que les collectivités ne subissent plus « la tutelle de Paris ». Les plus petits échelons prendront les décisions de manière plus efficace qu’à l’échelle nationale.
« Il nous faut donc renverser la vapeur, et proposer une « subsidiarité ascendante », basée sur le fait que ce sont les collectivités territoriales elles-mêmes qui doivent décider de l’échelon territorial le plus efficace pour la mise en œuvre une politique publique. »
Pour lire la tribune de nos experts, cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Le pouvoir aux communes : décentraliser par la subsidiarité ascendante », cliquer ICI.
Publié le 07/06/2023.
Dans sa chronique pour L’Opinion, notre présidente Monique Canto-Sperber défend la liberté de conscience et d’expression face au risque de « décivilisation » qui menacerait une société incapable d’assumer comme de tolérer une diversité de points de vue.
Monique commence par revenir sur le sens moderne de la liberté, définie par la délimitation d’un espace privé et totalement indépendant de pouvoirs extérieurs, qu’ils soient sociaux ou politiques, une sphère protégée où l’individu peut agir selon ses propres convictions. « Ni de droite, ni de gauche », ce principe de liberté « traverse les partages politiques » et fonde toutes les conceptions politiques.
« Pareille conception de la liberté [est] présente chez les libéraux de gauche et les anarchistes comme chez l’économiste Friedrich Hayek. »
Cette vision n’est pas celle d’un individu tout puissant dans ses caprices et ses désirs sans bornes, mais d’une liberté qui peut se déployer au sein de la société civile, garantie par l’État pour que chacun jouisse de cet espace d’autonomie.
« Le vieux rêve d’un contrôle des individus et d’une ingénierie sociale semble du reste réapparaître en version soft dans l’ambition de collecte systématique des traces laissées par les activités humaines afin de prédire nos préférences, pour nous confronter ensuite à une plausibilité statistique de nous-mêmes. »
Cette liberté peut s’exprimer de différentes manières : liberté d’expression, de conscience, d’opinion… et se dresse en rempart face aux forces sociales qui tentent de façonner et contrôler les individus à leur guise. À travers les époques et sous des manifestations différentes, de la liberté religieuse au XVIIème siècle à la Résistance, c’est donc toujours le même principe de liberté qui s’est exprimé face aux autoritarismes cherchant à créer un individu unique et uniforme.
« En procédant à cette forme d’euphémisation du monde, en amenant nos enfants à vivre dans une culture où toute trace de racisme est vouée à disparaître, nous créons une situation où ils ne pourront pas comprendre en quoi nos convictions morales d’aujourd’hui sont liées à une histoire et quelle en est la valeur. »
Aujourd’hui pourtant cette liberté est menacée : par la surveillance de masse indiscriminée ou encore la collecte systématique des données censées prédire nos comportements futurs. Surtout, elle est menacée lorsque certaines opinions sont jugées inadmissibles et inaudibles au sein d’une société, et qu’il est refusé par principe de les discuter. Selon Monique, le processus d’« euphémisation du monde » qui vise à lui retirer toute sa « rudesse » (comme modifier des occurrences racistes ou oppressives dans les écrits du passé) ne peut mener qu’à une homogénéisation de la pensée, et in fine à une société incapable d’interroger ses propres convictions ni d’être en mesure de les défendre, car incapable de les comprendre. Pour Monique, là résiderait vraiment une « décivilisation ».
« A ne tolérer que ce qui est semblable à nous, nous ne deviendrons plus qu’une société d’individus aux jugements réflexes, qui auront oublié la liberté si précieuse de délibérer en soi-même et de se faire son propre jugement. »
Pour lire la chronique de Monique, cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Pour rétablir la liberté d’expression », cliquer ICI.
Publié le 31/05/2023.
Invitée à introduire la conférence intitulée « (Re)penser le travail » organisée à l’Assemblée nationale par Aurélien Pradié (député LR du Lot), notre présidente Monique Canto-Sperber appelle à étudier la question sous un prisme plus moderne et plus libéral.
Aurélien Pradié se penche sur la place du travail dans notre société avec plusieurs collègues députés et experts. Le but est de « repenser le travail dans notre société pour aujourd’hui et pour l’avenir » en évoquant divers sujets comme l’organisation du travail, la rémunération, la formation ou encore la participation.
Notre présidente rappelle sa conviction que le travail est nécessaire à l’organisation de nos sociétés. Il s’agit d’une question clé pour l’avenir de la société, tant au niveau de la liberté que de l’autonomie des êtres humains. Monique retrace l’histoire du travail et rappelle que dès la fin des années 90, des secteurs entiers du travail salarié et des services ont été condamnés, notamment à cause de la robotisation (éducation, santé, administratif…). Une nouvelle réflexion est alors née du « grand scepticisme » à l’égard du travail. Nous avons trouvé plus de fluidité, de souplesse et d’engagement dans le travail. Tout cela nous pousse aujourd’hui encore à réinventer le travail.
« D’une certaine façon, cette prise de conscience collective sur l’importance du travail dans nos vies a été tout à fait salutaire. » – Monique Canto-Sperber
Monique observe une grande effervescence des thématiques évoquées ces dernières années. La crise sanitaire a permis de libérer l’expression de beaucoup d’aspirations. Elle s’est révélée être un moment clé, où les craintes et les inquiétudes des citoyens ont pu s’exprimer. Malheureusement, il y a aussi une forme de « désaffection » de la notion de travail, tant aux États-Unis qu’en France.
« La crise sanitaire du Covid est apparue comme un extraordinaire dispositif d’observation sur les mutations du travail. » – Monique Canto-Sperber
Les débats sur la réforme des retraites se sont focalisés sur la question de l’âge de départ, mais d’autres problématiques plus importantes en ont été écartées. Il est donc nécessaire de ramener dans le débat des questions telles que le travail des jeunes, les nouvelles formes de travail, l’auto-entrepreneuriat, le rapport entre travail et temps libre… Monique propose de donner plus de sens aux pratiques, de décider de notre manière de travailler, d’obtenir plus d’autonomie… Certaines études soulignent une baisse de la productivité des salariés sur leur lieu de travail, mais Monique estime que l’efficacité devrait s’évaluer en fonction des tâches accomplies et non pas du nombre d’heures effectuées.
« Les nouvelles formes de travail hybrides ont permis d’assouplir considérablement la notion de temps de travail. » – Monique Canto-Sperber
De son côté, dans sa chronique de la semaine pour l’Opinion, notre ancien directeur Maxime Sbaihi appelle à revaloriser le travail. Pour lui, les Français « sont plus que jamais au boulot » mais le travail ne permet plus vraiment de gagner sa vie.
Il dénonce lui aussi des débats biaisés lors de la réforme des retraites. Pour Maxime, les Français étaient contre le texte, mais pas contre le fait de travailler ! D’ailleurs, les chiffres de l’INSEE le prouvent : « Au-delà des chiffres exceptionnellement bas du chômage, qui frôlent leur meilleure performance sur trente ans, c’est la vigueur du taux d’activité qui frappe : sur la tranche de référence des 15-64 ans, il a grimpé à 74 % l’année dernière en France. »
« Ni paresseux, ni torturés, les Français sont au travail et heureux à la tâche. Ce constat doit être rétabli dans le débat public et former le point de départ de la réflexion autour du « pacte de la vie au travail » lancée par le gouvernement. » – Maxime Sbaihi
Pour regarder l’intervention de Monique à l’Assemblée Nationale, cliquer ICI.
Pour lire la chronique de Maxime, cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Travailler demain », cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « L’auto-entrepreneur, la révolution en marche », cliquer ICI.
Publié le 25/05/2023.
Interrogé par RTBF, Le Figaro et Radio Classique, Gaspard Koenig, analyse les défis contemporains du libéralisme. Face au pragmatisme utilitariste et à la planification écologique, il plaide pour un libéralisme radical confiant dans l’ordre spontané.
Dans l’entretien accordé à la première chaîne de télévision belge, Gaspard revient sur les crises que nous vivons actuellement : la récente pandémie et les bouleversements écologiques. Selon lui, ces crises testent nos démocraties libérales. Malgré des réponses étatiques centralisées, Gaspard estime qu’elles se sont globalement solidifiées dans l’épreuve. Dans les régimes autoritaires où l’information est cadenassée, les exécutifs ont au contraire pâti de ces crises. En Russie, la crainte de la hiérarchie a conduit toute la chaîne de commandement militaire à occulter aux sommets de l’État, la réalité de l’armée. Résultat : la Russie s’embourbe dans un conflit qui devait être une promenade de santé. De son côté la Chine qui a masqué le début de la pandémie se retrouve engluée dans sa stratégie autoritaire du zéro covid et peine à s’en sortir.
Il faut donc en conclure que libéralisme est mieux armé pour se prémunir des crises. Néanmoins pour qu’il perdure, il est nécessaire qu’il sache se renouveler au gré des époques. À l’instar du colloque Lippmann des années 1930, durant lequel la doctrine libérale avait été fortement remodelée et s’était imposée dans les grandes institutions internationales, le libéralisme se doit d’être à l’avant-garde des défis à venir. En ce sens, Gaspard rappelle le travail accompli par GenerationLibre via la publication de rapports aux propositions novatrices sur le revenu universel et la propriété privée des données personnelles.
« La simplification n’était pas le thème unique mais le point d’entrée qui me permettait de décliner les propositions sur lesquelles je travaille depuis longtemps comme le revenu universel, la propriété des données, l’autonomie locale, le droit du vivant, etc. »
Quant à savoir si les difficultés ressenties pendant la crise covid l’ont amené à s’interroger sur le libéralisme – en raison des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement et de l’interventionnisme économique de l’État -, Gaspard répond qu’il s’est davantage questionné sur les fondements théoriques justifiant les décisions étatiques. Il regrette l’opposition santé vs économie qui a orienté toute la politique gouvernementale. Selon lui, il aurait été plus judicieux de se baser sur un modèle de risque « années de vies gagnées / années vies de perdues » comme l’a fait GenerationLibre à l’aide d’une une méthodologie permettant de mesurer les conséquences positives et négatives des confinements sur l’espérance de vie des Français : d’un côté, les années de vie gagnées grâce aux mesures restrictives, de l’autre les années de vie perdues par les déclassements économiques.
Conscient des limites actuelles que rencontre le néolibéralisme – la maximisation outrancière des flux et des profits – désormais décrié par un fort mouvement sociétal qui pousse à en sortir, Gaspard reconnaît la nécessité d’un aggiornamento que les libéraux doivent accompagner. Sur l’enjeu climatique, il affirme que la question n’est de pas savoir si l’État doit ou ne doit pas intervenir lorsque l’humanité est menacée mais comment il le doit. L’État peut décréter la mise en place de contraintes tout en laissant le soin aux individus d’être libres de s’organiser en conséquence. Le modèle incitatif d’une taxe carbone redistribuée aux individus en est la parfaite illustration. À contrario de la planification écologique, le marché constitue la promesse de l’innovation capable d’apporter son lot de solutions à des problématiques qu’on ne peut pas anticiper. En matière d’écologie, l’ordre spontané d’Hayek doit l’emporter sur les projections planificatrices incertaines d’experts endogames.
« La véritable mission de la politique est de construire un idéal pour les citoyens. On peut et on doit porter des propositions radicales, y compris au sein d’un espace raisonnable comme celui du centre. La raison n’est pas condamnée à être pusillanime ! »
Néanmoins, les bouleversements environnementaux obligent Gaspard à s’interroger sur la notion de liberté. Doit-elle se comprendre comme étant simplement la multiplication des possibles, faire ce dont on a envie quand on le désire, ou doit-elle au contraire, s’envisager comme un contrôle de soi entraînant une indépendance vis-à-vis des contraintes extérieures. C’est cette deuxième option stoïcienne qu’il privilégie.
Pour faire face aux défis à venir, le libéralisme doit s’armer de radicalité. Telle que l’entend Gaspard, la radicalité n’est pas l’apanage des révolutionnaires mais consiste en une doctrine capable de dispenser une vision du monde qui nous sorte de la gouvernance pragmatique à l’oeuvre. Présenté comme une forme apolitique de l’exercice du pouvoir, le pragmatisme n’est en réalité qu’un utilitarisme – hérité de la philosophie bien politique de Bentham et de Saint-Simon – qui ne dit pas son nom. Il faut donc renouer avec les préceptes de la philosophie tocquevilienne qui, pour Gaspard, « placent toujours l’exercice du jugement personnel, du libre-arbitre, de la délibération collective, au-dessus de la bonne gestion qui finit par dévitaliser toutes les passions humaines ».
Pour visionner l’entretien de Gaspard à la RTBF, cliquer ICI.
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Publié le 30/05/2022.
Pour le premier numéro de la revue Horizons, mouvement d’Édouard Philippe dont il n’est pas membre, Gaspard Koenig fait valoir notre système d’idées empreint d’une radicalité réaliste contre les utopies en tout genre et contre le réformisme sans ambition.
Le scientifique et humaniste Théodore Monod affirmait plein d’enthousiasme et d’espérance que l’utopie « n’est pas l’irréalisable mais l’irréalisé ». Peut-être, malgré lui, valait il mieux qu’il se trompe. Il faut se méfier de la dialectique utopiste qui n’a souvent d’autres fins que son corollaire : la dystopie. Tel est le sens du développement qu’offre Gaspard à la revue Horizons. Fantasmes d’intellectuels structurés autour de grands postulats et brandis comme des idéaux absolus, les utopies n’ont eu de cesse au cours de l’histoire d’alimenter les pires exactions. Abstraction de l’esprit humain, l’utopie justifie au nom de principes suprasensibles érigés en vérités universelles, la mise au ban, l’ostracisation ou la liquidation pure et simple de ce qui lui contrevient.
Philosophiquement, il a fallu attendre Karl Popper pour réfuter méthodiquement les aspirations utopistes, la simple démonstration de leur irréalisme n’étant pas suffisante pour les repousser. Seule une réfutation politique est à même de dévoiler le caractère néfaste de l’utopie. Gaspard citant Popper le résume bien, « les meilleures intentions de fonder le paradis sur terre ne réussissent qu’à en faire un enfer ». Pour Gaspard nulle utopie n’est souhaitable alors que le communisme et le fascisme semblent avoir laissé la place aux utopies islamistes et au transhumanisme de la Silicon Valley.
« Je me méfie de ceux qui veulent changer la société, ou pire encore, le monde comme on dit dans la Silicon Valley. Ils entendent nous modeler à leur image. »
Dès lors, que faire ? Popper a bien essayé d’apporter une réponse mais transposée dans le réel, elle n’a hélas pas convaincu. Professant la mise en place de réformes prudentes et progressives, « le piecernal social engeering » popperien a entrouvert la voie au néolibéralisme, au règne des experts et à la mise en place d’une gouvernementalité supposément raisonnable. Loin d’évacuer l’État, la gouvernementalité néolibérale l’a renforcé en le dotant d’outils de surveillance accrue et d’une nouvelle biopolitique faite d’injonctions et de nudge.
Ce règne infantilisant, au nom de l’efficience, de le rationalité managériale consacre la défaite de la pensée politique. Pire, elle gouverne le pays. L’utile ou « ce qui marche » fait pâle figure de boussole politique et s’impose à tous, sans contestation possible, comme marche (ou crève) à suivre. Ainsi, a-t-on pu voir se mettre en place durant la pandémie une politique du maintien de la vie au prix d’un « quoi qu’il en coûte » pour nos libertés. Invoquant tour à tour Sénèque, Montaigne ou Rousseau, notre fondateur s’étonne du basculement paradigmatique opéré durant la pandémie et qui a consisté à nous marteler que la longévité humaine est un absolu terrestre.
« Toute la philosophie des propositions que je porte est de maintenir un équilibre entre une approche systémique et des mesures très concrètes. »
Afin de trouver un juste équilibre entre l’utopie brutale et le réformisme technologique contemporain, Gaspard préconise alors de définir un nouveau système d’idées. Subtil équilibre intellectuel, ce système de pensée se doit d’être fluide et en mouvement pour ne pas se condamner à la léthargie intellectuelle. En outre, il doit accepter les contradictions qui l’entourent afin de les dépasser.
L’abbé de Condillac, figure du libéralisme classique au XVIIIe siècle, ne professait rien d’autre dans son traité des systèmes en « enjoignant le lecteur à se méfier des pensées trop rigides, des lectures trop fermées sur elles-mêmes ». Ce système, pour se réaliser et être fidèle à ce qu’il entend être, doit quitter la psyché – le monde des Idées si cher à Platon – pour se confronter au réel et devenir une praxis – une action de transformation de la nature à partir des données réelles. Gaspard rappelle à ce titre l’origine de la création de GenerationLibre, conçu modestement pour émettre des idées concrètement applicables en politiques publiques. De cet aller-retour naît une radicalité réaliste « inspirée des systèmes de pensées et respectueuse des équilibres de la société ».
« Un journal m’a situé à l’extrême-centre. Voilà une case qui me plait bien (…) le centre ne doit pas être timide. Par rapport aux autres familles politiques, il lui faut à la fois être plus radical et moins révolutionnaire. »
Contre les utopies en tout genre – sans immigrés pour Zemmour, sans inégalités pour Mélenchon -, la technostructure étriquée et incapable de sortir de sa prison mentale faite de bureaucratie et de normes tandis que l’élection présidentielle est devenue un simulacre démocratique. Gaspard propose une autre voie guidée par le libéralisme dont le premier principe est de faire confiance au plus petit échelon – l’individu, la commune, l’entreprise – à même de savoir ce qui est bon pour lui et de définir sa propre utopie. Gaspard invite à s’intéresser à nos propositions de politiques publiques : de la simplification à l’autonomie locale en passant par le revenu universel, des projets d’envergures mais à droit et budget constants. La force tranquille de l’extrême centre.
Pour lire l’article de Gaspard dans Horizons, cliquer ICI.
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Publié le 11/05/2022.
Dans son dernier livre « De la France, ce pays que l’on croyait connaître », Laetitia Strauch-Bonart explore la psyché politique française. Contre le déclinisme ambiant, un nouveau pacte social est possible, explique la journaliste. Son principe : en finir avec le centralisme.
Pour la journaliste officiant dans les pages idées, la France pâtit de ce qu’elle nomme « la société de la créance ». Bien loin de la réciprocité matérielle et symbolique du « don – contre don » définie par l’anthropologue Marcel Mauss, Laetitia Strauch-Bonart argue que les demandes permanentes de l’Etat aux Français sont telles qu’ils ont « le sentiment de ne jamais recevoir autant qu’ils ont donné, et ce, même quand ils sont généreusement dédommagés ». Impuissant à répondre aux aspirations citoyennes, le léviathan étatique – métaphore qu’elle reprend à Hobbes – crée pourtant une dépendance chez les citoyens par son omniprésence dans leur vie quotidienne.
« Associée à un centralisme fort, un système présidentiel qui ne permet pas l’expression de la diversité des opinions, des statuts et rentes toujours présents, la faiblesse des intermédiaires entre l’État et les citoyens et l’asphyxie de la société civile, « la société de créance » est source d’instabilité et de ressentiment. »
Loin des récits laudateurs d’une France sereine et apaisée au temps de l’Ancien Régime – n’oublions pas les jacqueries et les guerres de religions -, dont le subtil équilibre aurait été rompu par la période révolutionnaire, Laetitia Strauch-Bonart rappelle que l’histoire de France est faite de stasis – dissensions internes au sein d’une Cité-État qui débouchent sur de violentes crises politiques. Pour la journaliste, la crise des gilets jaunes, conforme à cette loi d’airain nationale, pointe l’absence de représentativité politique en France. La « monarchie présidentielle » ainsi que la faiblesse des contre-pouvoirs à l’État sclérosent le débat démocratique et accentuent le fossé qui sépare les Français de leurs institutions. L’abstention croissante et la virulence des messages adressés à l’encontre du Président lors de chaque manifestation contestataire en sont de bons témoignages.
Pensée pour répondre à l’instabilité politique des régimes parlementaires, la prédominance de l’exécutif sur le législatif, très marquée depuis l’entrée dans la Ve République, est aujourd’hui le mal qu’il convient de soigner.
« Le système présidentiel concentre le pouvoir et ne peut représenter réellement les aspirations. Cela empêche même qu’il y ait un débat. »
Laetitia Strauch-Bonart exhorte à la décentralisation du pouvoir ainsi qu’à la responsabilisation des institutions afin de sortir de ce marasme politique ambiant. Si la seconde perspective fera l’objet d’un prochain rapport de GenerationLibre, notre think thank mène le combat des idées – avec la publication de rapports consacrés à la décentralisation – pour qu’advienne un pacte authentiquement girondin.
Pour lire l’entretien de Laetitia Strauch-Bonart accordé à La Montagne, cliquer ICI.
Pour lire des extraits de son ouvrage, cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Le pouvoir aux communes », cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Oser le pacte girondin », cliquer ICI.
Publié le 23/03/2022.
Dans Le Point, le sociologue et spécialiste de la protection sociale, Julien Damon, analyse les propositions de Valérie Pécresse et Emmanuel Macron pour conditionner la perception d’un revenu minimum à une activité professionnelle.
Quel bilan pour le RSA ? Dans l’entretien qu’il livre au journaliste du Point, Kevin Badeau, le sociologue loue le principe d’un revenu minimum. Preuve de son efficacité, il permet à ses bénéficiaires de « sortir de la misère ». En revanche pour le spécialiste de la protection sociale, force est de constater l’échec de son corollaire : les politiques d’insertion.
« Plus aucun parti politique ne rejette l’idée d’une prestation sociale minimum. Même pas les libéraux ! »
Si juridiquement les propositions de Valérie Pécresse – le conditionnement du RSA à une activité de quinze heures hebdomadaires – et d’Emmanuel Macron – le conditionnement d’un revenu minimum à une activité dont le taux horaire hebdomadaire n’est pas encore défini – sont tout à fait réalisables, dans la pratique elles semblent impossibles à mettre en oeuvre. En cause : le million d’emploi à taux plein qu’il faudrait trouver dans un pays qui compte trois millions de chômeurs.
Julien Damon voit dans le projet du revenu universel d’activité une tentative de simplification de l’ensemble des minima sociaux en une unique prestation. Néanmoins, la complexité d’application de ce chantier pourrait l’ajourner aux calendes grecques.
Dans le même temps, dix-neuf présidents de départements de gauche, des universitaires et des acteurs associatifs interpellent l’Etat, dans une tribune au « Monde », afin d’instaurer un revenu de base, prioritairement pour les 18-24 ans.
« Il y a un certain consensus dans les idées de revenu minimum et de revenu universel. »
A rebours des idées reçues sur le sujet, le professeur associé à Sciences Po explique que l’idée d’un revenu universel se retrouve historiquement parmi les principaux défenseurs du libéralisme et notamment chez les célèbres économistes nobélisés Milton Friedmann et Friedrich Hayek.
GenerationLibre salue la volonté du Président de la République d’automatiser le du versement du RSA – en miroir du prélèvement de l’impôt à la source, mais dénonce le durcissement des conditions pour l’obtenir dans son programme et celui de Valérie Pécresse. Avec GenerationLibre, dans le cadre du prélèvement à la source, il s’agirait d’un montant de 500€ versé automatiquement à tous les Français, en même temps qu’un impôt au taux proportionnel de 30% sur le revenu du mois qui précède, au premier euros près.
Dans Le Point, la journaliste Laetitia Strauch-Bonart propose une recension du nouvel ouvrage de Guillaume Bazot « L’Épouvantail néolibéral, un mal très français ».
Alors que le néolibéralisme est sous le feu des accusations, Guillaume Bazot, économiste, argue qu’au contraire rien ne permet d’établir un lien de cause à effet entre la libéralisation économique et la régression sociale. Le maître de conférences à l’université de Paris 8 dénonce le lyssenkisme ambiant des travaux actuels sur le néolibéralisme qui s’évertuent à lui imputer tous les maux.
« Rien ne permet d’établir un lien de cause à effet indiscutable et définitif entre libéralisation économique et régression sociale. »
L’ouvrage de Guillaume Bazot s’attaque à plusieurs biais d’analyse. La rédactrice en chef du Point rapproche ce travail de l’analyse de Kevin Brookes, chercheur associé chez GenerationLibre et ex-directeur de notre pôle études, « Why Neo-Liberalism Failed in France : Political Sociology of the Spread of Neo-liberal Ideas in France (1974-2012) », qui démontre que les politiques publiques françaises sont restées imperméables à l’idéologie néolibérale.
« L’idée de régression sociale n’est pas plus fondée empiriquement qu’elle ne l’est théoriquement. »
Contre intuitif et emblématique : les revenus après impôts et transferts des 50% des Français les moins aisés sont ceux qui connaissent la plus grande augmentation depuis les années 1990 et même depuis 2008. De même, la taxation des hauts revenus français servant aux politiques de redistribution est supérieure en 2018 à ce qu’elle était en 2010 et en 1990. En outre, l’analyse et la mesure des inégalités par la part des revenus des 1% ou des 10% les plus élevés s’avère inadéquat pour rendre compte de la pauvreté puisque cet indicateur est mesuré avant les effets correctifs impulsés par l’État.
Pour l’économiste, les effets de loupe relèvent souvent d’un phénomène de « cherry-picking » : la sélection orientée de données statistiques qui masquent l’action des politiques étatiques pour se concentrer sur l’augmentation des inégalités sociales.
Sans nier le mécontentement des classes moyennes et classes populaires, Guillaume Bazot balaye d’un revers de main l’idée que celui-ci soit lié à des politiques néolibérales. Les raisons de ce mécontentement trouveraient leurs causes dans des facteurs culturels et politiques.