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L’origine du monde – Gaspard Koenig

L’origine du monde – Gaspard Koenig

Dans sa chronique pour Les Echos, Gaspard Koenig propose une recension du dernier livre de l’anthropologue David Graeber. En rupture avec les schémas traditionnels de la philosophie politique, l’ouvrage nous invite à repenser nos libertés fondamentales.

 

S’il existe des livres qui par leur puissance heuristique bouleversent le chemin de l’existence, « Au commencement était » – dernier ouvrage du regretté David Graeber co-écrit avec le professeur Denis Wengrow – figurerait parmi les premiers. Gaspard perçoit dans cette somme anthropologique une nouvelle histoire de l’humanité qui, par le prisme des peuples premiers, renverse les narratifs classiques communément invoqués. Pour Gaspard, trois enseignements relatifs à l’histoire de l’humanité sont à tirer de cet ouvrage.

« Et si les Lumières n’étaient que la réfraction de rayons venus d’une humanité plus profonde »

Le premier s’adresse directement aux libéraux. L’idée selon laquelle les principes de liberté et d’égalité définis par les philosophes des Lumières s’enracineraient dans un héritage judéo-chrétien est imparfaite puisqu’elle occulte l’importance des philosophies indigènes dans ce processus de maturation intellectuelle. La philosophie de certains peuples amérindiens préfigure les concepts établis par les philosophes européens des lumières, si bien que c’est en réaction à la critique indigène outre-Atlantique que Turgot s’est évertué à fonder une idéologie du progrès.

Le deuxième enseignement que tire Gaspard à la lecture dudit ouvrage est à l’attention des “gaucho-rousseauistes” habités par le principe originel d’une égalité naturelle chez les peuples primaires. Graber et Wengrow démontrent qu’au contraire, les premiers peuples, y compris nomades, ont formé spontanément des sociétés ordonnées par des aristocraties, sans que celles-ci ne s’adonnent nécessairement à des procédés de domination semblables aux formes contemporaines d’exercice du pouvoir. Gaspard mentionne qu’à l’inverse, les deux auteurs réfutent la thèse téléologique narrant que la domestication de la pratique agricole a irrémédiablement débouché sur la création des villes puis des États. Les mégasites ukrainiens attestent que sur de vastes territoires des formes de pouvoirs autogestionnaires ont existé sans aucune forme de supra-pouvoir centralisateur.

Enfin, l’humanité se caractérisait par son extraordinaire créativité politique. À nouveau Graeber et Wengrow renversent le paradigme de sociétés déterminées par les facteurs technologiques et environnementaux pour établir qu’elles se fondent sur la volonté collective, le consentement des membres qui la composent et leur capacité d’expérimentation.

« Il est de bon ton aujourd’hui d’ironiser sur la « déconstruction » mais n’est-ce pas la première des exigences scientifiques : déconstruire méthodiquement, faits à l’appui, ce qui semblait une évidence ? »

À travers la multitude d’exemples recensés sur la diversité des communautés humaines – les assemblées collectives féminines dans la Crête minoenne, la sacralisation de la propriété chez les Yuroks, le rejet de l’esclavage chez les Wogies ou l’interruption de la construction de palais au profit de logement sociaux à Teotihuacan – les deux auteurs proposent trois libertés fondamentales universelles et consubstantielles à l’humanité : « la liberté de quitter les siens, la liberté de désobéir aux ordres et la liberté de reconfigurer sa réalité sociale ».

À mille lieues de l’inertie produite par nos sociétés bureaucratisées, l’ouvrage invite, selon Gaspard, à imaginer réellement l’émergence de futurs alternatifs qui nous sortent de nos ternes dimanches électoraux.


Pour la chronique de Gaspard dans Les Echos, cliquer ICI.

 

Publié le 27/04/2022.

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